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Résumé
L'article s'efforce d'ébaucher les bases épistémologiques d'une théorisation interne en didactique des langues-cultures étrangères en s'inspirant en particulier des modèles proposés par Abraham A. Moles pour les sciences humaines et par A.M. Huberman & M.B. Miles pour l'analyse qualitative en sciences sociales. Il propose sur ces bases l'abandon du paradigme critique sur lequel la recherche en didactique des langues-cultures s'est généralement fondée jusqu'à présent, au profit d'un paradigme pragmatiste qui s'avère épistémologiquement plus conforme aussi bien aux spécificités de cette discipline qu'à l'évolution actuelle de l'ensemble des sciences humaines.
Dimensions, "facteurs" et "variables"
Ci-dessous, ma réponse à une lectrice - une collègue du Costa Rica - qui m'a demandé le sens que je donne aux concepts mis en gras dans la phrase suivante, en page 8 de cet article:
L'objectif que se proposent ainsi A.M. Huberman & M.B. Miles est d'atteindre progressivement " une cohérence conceptuelle/théorique " (p. 413) en reliant chaque donnée recueillie sur le ter-rain à d'autres données, puis en les regroupant sous des " éléments conceptuels " (constructs) de plus en plus larges ; ces éléments conceptuels vont enfin être reliés eux-mêmes dans une " théorie ", celle-ci étant définie comme un " cadre conceptuel " consistant en une description des concepts-clés (dimensions, facteurs, variables) ainsi que de leurs relations et interactions.
Cette parenthèse "(dimensions, facteurs, variables)" est reprise textuellement de l'ouvrage cité. Mais je suppose que ses termes se rattachent au cadre conceptuel, et non à chacun de ses concepts-clés, comme ma phrase peut (malheureuse-ment...) le laisser penser. En tout état de cause, ce que vais indiquer ici comme sens de ces concepts, ce sont ceux que je leur donne personnellement.
- "Dimensions"
J'indique en page 5 de ce même article 1997b quatre "dimensions" du cadre conceptuel de la DLE. Lorsque l'on considère un objet comme complexe (ce qui est assurément le cas de la didactique des langues étant donné l'objet de celle-ci, à savoir les processus d'enseignement et d'apprentissage et leurs relations), on parle métaphoriquement en français de ses différentes "dimensions", comme on dit d'un volume que c'est un objet "en 3D", i.e. en "trois dimensions" ; ce qui implique que pour l'appréhender, il faut le faire tourner, ou tourner autour de lui, pour percevoir toutes ses "dimensions", ou "aspects", ou "caractéristiques" fondamentales. C'est en ce sens que j'ai utilisé "dimensions" en page 5.
- "Facteurs" et "variables"
Ce sont pour moi deux notions désignant la même réalité dans deux perspectives différentes, l'une descriptive (avec le terme "facteur", on décrit le fonctionnement d'une réalité), l'autre normative (avec le terme "variable", on recherche les règles de fonctionnement de cette réalité) :
a) On va parler de "facteurs" pour désigner tout ce qui agit pour produire ou modifier un phénomène. Exemple: on va dire que la qualité de l'apprentissage dépend prioritairement du facteur "motivation" ; ou que la capacité de faire des prédictions en cours de lecture dépend du facteur "capacité de la mémoire de travail".
b) On va parler de "variables" dans une recherche, lorsqu'on va modifier ou remplacer un facteur par un autre pour voir les conséquences de cette manipulation, ou lorsqu'on va rechercher les relations entre les différents facteurs (on parle dans ce dernier cas de "variables dépendantes"). On va ainsi comparer les résultats de deux classes dans lesquelles on a créé des niveaux de motivation différents (par exemple en mettant en œuvre dans l'une, et non dans l'autre, la pédagogie de projet, qui a pour caractéristique de plus "mobiliser" en principe les élèves). C'est là une variable indépendante ; on peut ainsi plus ou moins motiver/mobiliser les élèves quel que soit leur âge. Par contre, la capacité d'abstraction dépend étroitement de l'âge des élèves, ce sont deux variables dépendantes (l'une de l'autre) : si on fait une recherche avec des élèves jeunes d'âges différents (8 ans et 12 ans, par exemple), la variable âge va déterminer la variable "capacité d'abstraction", et il faudra tenir compte de cette dépendance dans des recherches sur l'efficacité de la conceptualisation grammaticale ou des activités métacognitives sur les résultats des jeunes élèves.
Si on considère l'âge comme déterminant en soi toute la qualité des apprentissages - comme un "facteur déterminant", dira-t-on simplement alors -, on parlera du "facteur âge"; c'est ce que disent tous ceux qui pensent que plus l'on est jeune, et mieux on apprend une langue étrangère : voir ce que donne une recherche sur Internet avec ces deux expressions à la fois, "facteur âge" "apprentissage des langues"
Christian PUREN, 22 octobre 2017