À propos de Denis Cristol, "Le cimetière des mauvaises idées pédagogiques"


Et sous ce titre en chapeau: "À chaque fois on se dit «non pas ça», mais, comme dans un film d'horreur, les mauvaises idées pédagogiques sont increvables".

 

Il s'agit d'un article très ironique, très incisif... et pertinent, à lire sur le site pédagogique canadien Thot Cursus, qui énumère et commente brièvement une dizaine de ces mauvaises idées avec des intertitres filant la métaphore des films d'horreur: "Le dépotoir électronique", "La fosse universelle", "La damnation de l'évaluation", "Le mouroir psychologique", "le vampire doré" (l'exemple sous ce dernier titre est la privatisation des écoles en Suède, dont les résultats ont été catastrophiques). Publié en avril dernier, cet article vient d'être rappelé par Thot Cursus dans sa lettre d'information de ce jour.

 

La didactique des langues-cultures (DCL) mériterait tout autant que la pédagogie un article de cette veine. À propos des quatre principaux fondamentaux de toute "pédagogie moderne" des langues que Denis Girars, didacticien d'anglais et de français langues étrangères affirmait en 1968, à savoir...

 

— isoler dans un premier temps le système oral du système écrit ;

— adopter une attitude franchement " béhavioriste " plutôt que " mentaliste " ;

— créer un besoin constant de communication ;

— éviter, dans la pratique pédagogique, toute référence à la langue maternelle,

 

... j'ai noté ainsi dans la conclusion générale de mon Histoire des méthodologies: "on peut constater qu'un seul d'entre eux, le troisième, est encore aujourd'hui unanimement reconnu comme valable" (1988a2, p. 387).

 

Ce troisième principe, fondé sur l'approche communicative dominante à l'époque, a été lui aussi depuis enterré discrètement (il est rarissime que soient publiés des avis de décès en DLC...) au nom, entre autres, du modèle constructiviste, qui veut qu'on s'arrête au moins de temps en temps de communiquer, ne serait-ce que pour réfléchir non seulement à la langue de communication qu'on utilise (activités cognitives) mais à la communication elle-même qu'on met en oeuvre (activités métacognitives).

 

Parmi toutes les mauvaises idées listées par Denis Cristol, et qui me semble repérables tout autant en pédagie qu'en didactique , il en manque une à mon avis, qui pourrait intituler "Le poison applicationniste", dont l'historie de la DCL offre de nombreux exemples avec les applicationnismes théoriques (linguistique et cognitif), pratiques (les "bonnes pratiques"), technologiques (l'audiovisuel, l'informatique, le numérique ; maintenant l'I.A.?) et méthologiques (les différentes méthodologies constituées, y compris la perspective actionnelle, lorsqu'on considère qu'on en connaît la seule bonne version et qu'elle doit être la seule méthodologie à utiliser) : cf. Puren 2022d (en français) ou Puren 2022d-en (en anglais).

 

Sur la page de cet article sur le site de Thot Cursus, dans la rubrique "Vous pourriez aussi aimer" proposée dans une colonne de droite, on trouve recommandé en première position un document intitulé "Évolution des idées et des pratiques pédagogiques. Fondements, principes de base et apport à l'enseignement au secondaire". Il s'agit de l'annonce d'une formation offerte par l'Université de Laval (Québec, Canada), illustrée d'une photo d'un élève au tableau, craie à la main, devant un tableau couvert de formules algébriques, l'enseignant pointant avec son crayon la variable de l'une des formules.

 

Certes, on peut reconnaître sur cette photo une pratique pédagogique de type "méthodes actives" (l'enseignant attirant sans doute l'attention de l'élève sur sa production pour qu'il réfléchisse lui-même, ou pour introduire une nouvelle connaissance). Mais j'ai mis aussitôt le fait qu'il s'agisse d'une production d'équations algébriques - parmi lesquelles, à part mais, soulignée, la fameuse équation d'Einstein "E=MC2", symbole historique de la vérité absolue à laquelle peut parvenir la science -, avec la tendance générale du site Thot Cursus à mettre l'accent sur l'exigence de "rigueur scientifique". Dans la courte présentation de cette formation sur le site de l'Université Laval, on trouve la phrase suivante : "intégration de considérations théoriques de nature philosophique, historique, sociologique et psychologique, dans une visée de pratique pédagogique". La formulation ne permet pas la critique - telle qu'elle est énoncée on ne peut que souscrire à l'idée -, mais elle  laisse une marge d'interprétation dans laquelle peut parfaitement prendre place une conception applicationniste de cette "intégration".

 

C'est pourquoi j'aurais vraiment aimé que Denis Cirstol rajoute, dans les causes connues de mortalité des idées pédagogiques (et didactiques), "le poison scientiste", dont je trouve parfois des traces sur Thot Cursus". Je conseille malgré tout de fréquenter régulièrement ce site, parce qu'on y trouve souvent d'excellents articles, et qu'on n'est pas obligé de goûter à toutes les coupes proposées...