Géraldine GALINDO a publié le 29/10/2019 sur le site theconversation.com un article intitulé "La laïcité, un principe de plus en plus complexe à manier pour les entreprises", dans un domaine dont j'ai eu l'occasion déjà de montrer la proximité épistémologique avec la didactique des langues, DLC (cf. "De l’approche communicative à la perspective actionnelle. À propos de l’évolution parallèle des modèles d’innovation et de conception en didactique des langues-cultures et en management d’entreprise", 2006f).
Cette proximité se confirme avec cet article, qui fournit un bon exemple de ce que l'on peut appeler un modèle d'"approche conceptuelle" tout à fait pertinent pour la DLC. Il ne s'agit pas, dans ce modèle, de simplement utiliser différents concepts au cours de l'analyse, mais de partir d'un cadre conceptuel en l'utilisant comme grille d'analyse. Il se trouve qu'ici l'approche conceptuelle porte sur un concept, ce qui correspond à une démarche de problématisation conceptuelle sur un mode "méta".
Dans cet article de G. Galindo, le cadre (ou modèle) conceptuel est constitué de trois concepts correspondant aux trois "hypothèses fortes" nécessaires selon l'auteur pour considérer que le principe de laïcité est aisé à appliquer dans les entreprises. Je les énumère ci-dessous en les transposant en DLC, parce qu'en fait ces hypothèses sont précisément celles qui sont souvent utilisées sans le dire - comme des postulats non explicités, donc - dans beaucoup de travaux de recherche en DLC :
- La stabilité : "Le concept est toujours défini de la même manière."
- L'universalité : "Tous les [utilisateurs du concept] adoptent la même définition."
- L'imperméabilité : Le concept a un sens bien défini qui ne relève que du domaine d'emploi dans lequel on l'utilise.
Or les concepts sont par nature des objets "spongieux" (cf. 2013a, p. 4) qui, dans les environnements complexes - et la DLC en est un, assurément aussi complexe que celui des entreprises -, s'imbibent d'éléments sémantiques divers, instables et évolutifs. De telle sorte qu'ils reçoivent des descriptions différentes en diachronie et en synchronie, ne sont pas définis de la même manière par leurs utilisateurs, et sont influencés par les descriptions qui leur sont attachés dans d'autres domaines d'emploi, avec les connotations et implicites que ces descriptions contiennent. Ce sont là des idées que j'ai développées déjà dans un article de 1997 intitulé "Concepts et conceptualisation en didactique des langues : pour une épistémologie disciplinaire" (1997b).
Sur l'indispensable distinction à faire entre la définition et la description d'un concept, cf. l'ensemble du chapitre 1, pp. 8-26, de mon essai intitulé Le travail d’élaboration conceptuelle dans la recherche en didactique des langues-cultures. L’exemple de l’approche par compétences et de la perspective actionnelle (2016g), où cette distinction est successivement appliquée aux notions de "tâche", d'"exercice" et d'"agir". Sur la distinction entre "notion" et "concept", cf. 2015a, p. 16 (la distinction entre définition et description vaut aussi bien pour les notions que pour les concepts). Le caractère spongieux des concepts demande de se limiter à des définitions les plus abstraites possibles, et de considérer tout le reste comme des adhérences sémantiques contextuelles relevant de la description.
J'ai proposé récemment un exemple personnel d'analyse conceptuelle d'un manuel de FLE, les concepts étant ceux de "méthodologie constituée" et d'"objets méthodologiques": "Analyse macro et mésométhodologique d'un manuel communicatif, Grand large 1, Unité 4" (document 077).
Ce sont ces particularités des concepts en DLC (comme sans doute dans toutes les sciences humaines, dont les sciences de gestion font assurément partie) qui obligent tout étudiant chercheur, dans son mémoire de master ou dans sa thèse, à commencer par problématiser les concepts spécifiques qu'il utilise (cf. le chapitre 4 "Élaborer sa problématique de recherche", chap. 2, pp. 11-14 du cours "Méthodologie de la recherche en DLC"). Ce chapitre présente aussi la distinction, elle aussi indispensable, entre concepts génériques et concepts spécifiques.