"L'expresso" du Café pédagogique en date du 14 décembre 2017 a publié un article de Françoise Leclaire intitulé "Apprendre des langues pour comprendre".
Extrait du début de l'article :
Et si les langues nous aidaient à comprendre ? Lire c’est comprendre. Et principalement comprendre ce que le texte ne dit pas ou dit « entre les lignes ». Or c’est justement là que les performances des petits écoliers français aux épreuves PIRLS ont particulièrement chutées. Nous souhaitons montrer que ce n’est pas une fatalité et qu’il existe des mises en œuvre pédagogiques simples qui permettraient non seulement d’améliorer les compétences en compréhension ((sous-entendu: en langue maternelle)) mais également d’améliorer les compétences en langues vivantes enseignées. Recette miracle ? Que nenni !
Posons d’abord quelques certitudes grâce aux chercheurs ayant travaillé sur la question de la compréhension.
- La différence entre « bons » et « mauvais » compreneurs est corrélée à :
- La capacité à contrôler leur compréhension,
- La capacité à utiliser les marques référentielles. (Yuill et Oakhill 1991, Ehrlich et Rémond 1997 )
Nous avons mené en 2010 une expérimentation dans 3 classes de cycle 3 (Echantillon) comparées à 3 autre classes équivalentes (Témoin). Les trois classes du groupe échantillon ont participé pendant une année à des séances hebdomadaires d’éveil aux langues et d’intercompréhension.
La question L’éveil aux langues est une approche méthodologique initiée par Eric Hawkins en Angleterre dans les années 60 pour répondre au défi de l’échec en langue(s) des enfants immigrés. Cette approche développe des attitudes de tolérance et d’ouverture à la diversité linguistique et culturelle, des aptitudes susceptibles de faciliter l’apprentissage d’une langue étrangère. Concrètement, il s’agit d’une approche comparative des langues où l’on réfléchit sur les langues, leurs similitudes et différences, à partir de matériaux sonores ou écrits. L’intercompréhension s’appuie sur l’exploitation des ressemblances et transparences entre les langues.
Suite une présentation des résultats très positifs des tests effectués dans ces classes, qui montre une bien meilleure capacité des élèves ayant subi l'expérimentation à réaliser des inférences, capacité confirmée par leurs déclarations au cours d'entretiens d'explicitation.
Bien sûr que les langues aident à comprendre, puisqu'il faut comprendre pour les apprendre... L'apprentissage des langues étrangères est effectivement une occasion naturelle de transférer une capacité aussi générale que celle de l'inférence (étymologique, grammaticale et contextuelle) depuis la langue maternelle - où elle a dû être travaillée initialement - aux langues étrangères, et de continuer à s'y entraîner. Il en est de même de la capacité à "contrôler sa compréhension" (ou capacité d'"autorégulation"), avec le recours aux même types de tâches métacognitives. Le problème est différent en ce qui concerne le vocabulaire: les élèves disposent en langue maternelle d'une capacité de "reconnaissance phonologique" bien supérieure à celle qu'ils ont au départ en langue étrangère, parce qu'ils peuvent reconnaître, au décodage, la forme orale de tous les mots qu'ils utilisent dans leur vie quotidienne.
L'approche "éveil aux langues" est effectivement très intéressante au cycle 3, et déjà au cycle 2 (vous auriez pu citer aussi les travaux très élaborés, matériels didactiques compris, du Français Michel Candelier et de ses équipes). Mais au cycle 4, le relais peut avantageusement être pris, me semble-t-il, par la "didactique intégrée", qui implique une collaboration entre le professeur de français langue maternelle, de la langue commencée en cycle 2 et de celle commencée en classe de 5e, dans un travail sur les stratégies d'enseignement-apprentissage. Quant à l'intercompréhension, elle a été surtout expérimentée (avec succès) à l'université, et elle pourrait fournir le relais idéal en second cycle. (Sur ces différents dispositifs, cf. aussi les "méthodologies plurilingues" dans mon schéma général "Les enjeux actuels d’une éducation langagière et culturelle à une société multilingue et multiculturelle").
L'éveil aux langues, jusqu'à présent, a été conçu dans une perspective de sensibilisation, et cela me paraît raisonnable: on ne peut pas "sensibiliser" pendant des années (c'est le problème structurel auquel s'est historiquement heurtée l'approche interculturelle dans l'enseignement scolaire des langues étrangères, et qu'elle n'a pu résoudre). Après la sensibilisation jusqu'en fin de cycle 3, la didactique intégrée, en collège, et l'intercompréhension, en lycée, permettraient d'aller progressivement vers la mise en œuvre du même principe (l'interdisciplinarité entre langues), globalement de la sensibilisation à l'apprentissage puis à l'usage. Dans les classes européennes, les passages devraient être plus précoces, en cohérence avec la relation entre les objectifs d'apprentissage et les objectifs d'usage.
L'intérêt didactique de ces différents dispositifs n'est plus à démontrer. La seule question qui se pose - mais elle est redoutable -, est de savoir comment réunir les conditions de leur généralisation ou du moins de leur diffusion partout où ils seraient considérés comme utiles. Mais c'est là un problème général et permanent dans l'enseignement scolaire, et pas seulement dans l'enseignement des langues, comme on peut le voir à propos de l'usage pédagogique des "nouvelles technologies" (cf. par ex. mon article 2016d, "La didactique des langues-cultures face aux innovations technologiques : des comptes rendus d’expérimen-tation aux recherches sur les usages ordinaires des innovations".