Je signale sur le site du Café pédagogique un
intéressant billet en date du 13 février 2005 de Bruno DEVAUCHELLE, le spécialiste ès technologies numériques de l'association, intitulé "Une place pour l'usage ordinaire du numérique ?". Il offre en effet une parfaite illustration
du regard différent que l'on peut avoir sur la question de l'innovation dans l'enseignement scolaire lorsqu'on se situe dans la perspective de ce que j'appelle la "didactique complexe". Parce
qu'elle a comme visée l'"innovation durable", c'est-à-dire généralisée et pérenne - ce que l'auteur appelle l'"évolution du plus grand nombre" -, cette didactique complexe part de l'observation
compréhensive de ce qui se passe réellement dans le quotidien des classes, de la "pratique ordinaire mais réaliste".
Dans son billet, Bruno CHAUVELLE critique le fait que "l'on survalorise les expérimentations/ innovations par rapport aux pratiques ordinaires"
:
Même les chercheurs du domaine s'y laissent attirer (il y a des budgets à la clef...), prompts qu'ils sont parfois à se jeter sur les dernières nouveautés pour en faire un article (même s'il
est de piètre qualité) qui fera la une de la presse et qui valorisera son auteur. Certains "spécialistes" mêmes ont fait de cette manière de faire une façon de vivre, surfant de modes en modes,
de nouveautés en nouveautés.
Et, un peu plus bas:
Les passionnés [des technologiques numériques] sont l'arbre qui cache la forêt. On les montre, on les met en avant (tant qu'ils ne dérangent pas trop l'institution) et on oublie de parler de l'ensemble des acteurs de l'enseignement qui eux sont beaucoup moins enclins à développer ces pratiques.
Le passage où Bruno CHAUVELLE énumère ses "constats récurrents" concernant l'environnement quotidien des enseignants illustre parfaitement ce que j’appelais, dans un article de 2009 intitulé
"Nouvelle perspective actionnelle et (nouvelles) technologies éducatives : quelles convergences... et quelles divergences ? " (2009e), les "facteurs de divergence" à l’œuvre dans le domaine des technologies numériques appliquées à l'enseignement scolaire en France :
- le ratio équipements/élèves met en évidence qu'accéder aux machines reste toujours un goulet d'étranglement pour les usages ordinaires. Réservation de salle, programmation en amont des
activités, etc., sont des contraintes qui, par rapport à l'ordinaire de la classe, freinent les activités.
- Les infrastructures (réseau, matériel) et la maintenance se révèlent souvent en deçà des attentes ou du confort d'utilisation souhaité par ces utilisateurs "ordinaires".
- Le niveau de compétence des enseignants reste en décalage assez fort avec les technologies (et leurs exigences de maîtrise technique) mises à disposition, ce qui freine nombre
d'usages.
- Le temps à consacrer à la maîtrise des technologies (formation et surtout autoformation) implique un investissement volontaire fort que les plus passionnés font sans problème mais que la
plupart trouvent trop contraignant en regard des fonctionnements du système scolaire et de leur activité quotidienne.
- La pression des programmes et des examens ainsi que des modalités d'évaluation des apprentissages n'a toujours pas pris en compte les dimensions nouvelles introduites par les moyens
numériques qui, souvent, demandent du temps... que ce soit dans la classe (mise en route de l'activité) ou en dehors (préparation, organisation).
L'auteur rappelle à juste titre que ce que la masse des enseignants s'efforcent en permanence de faire, parce qu'ils savent que c'est la condition sine qua non pour qu'il y ait enseignement... et apprentissage, c'est simplement (si l'on peut dire...) de "mettre les élèves en activité" ; et que pour cela ce n'est pas d'innovations technologiques lourdes et sophistiquées dont ils ont besoin - les logiciels de traitement de texte, de présentation, d'écriture de livres ou de contenus numériques multimédias suffisent à son avis -, mais d'un environnement où leur administration a réduit au maximum les facteurs de divergence. Les enseignants, qui sont suffisamment motivés pour mettre d'eux-mêmes en œuvre les convergences, seront alors parfaitement capables de le faire quotidiennement dans leurs classes, sans promotions institutionnelles de "bonnes pratiques" labellisées et autres injonctions officielles à l'innovation technologique.