Le dernier dossier de Thot Cursus porte le thème "Neurosciences et apprentissages". L'un des articles s'intitule "Comment le cerveau assimile une nouvelle langue", et, dans un chapitre intitulé "Des méthodes d'apprentissage basées sur les neurosciences", on peut y lire ceci :
Le Middlebury College, connu pour la qualité de ses programmes linguistiques, a vite compris qu'il fallait se servir de ce que les neurosciences nous apprennent sur l'apprentissage d'une
langue et donc, immerger les élèves dans la langue cible. Les jeunes qui prennent des cours de langues l'été dans cet établissement doivent donc obligatoirement parler la langue d'apprentissage
lors de leurs différentes activités. Pour le vice-président de l'établissement, il y a 4 éléments nécessaires pour bien maîtriser une langue :
- L'utiliser.
- L'utiliser avec un but, ajouter un projet en parallèle qui justifie l'apprentissage (exemples : créer une démonstration de cuisine, monter une pièce de théâtre, etc.).
- Avoir accès à du matériel authentique. Il faut des extraits audio et vidéo provenant de réels échanges et situations qui emploient le langage (verbal et non verbal).
- L'utiliser en interaction avec les autres.
Il me semble que l'on peut, en tant que didacticien (ou enseignant) avoir deux réactions différentes à la lecture de ce passage :
1) se dire que l'on n'a pas attendu les neurosciences pour savoir que ces éléments sont nécessaires à l'apprentissage, et pour les mettre en œuvre ;
2) ou constater que comme par hasard, ce que l'on fait valider ainsi aux neurosciences, ce sont les orientations actuelles de la didactique des langues-cultures, puisqu'on y retrouve les
principes de la perspective actionnelle et de l'approche communicative.
Comme quoi il est faux de penser que l'on fait dire aux neurosciences n'importe quoi : au contraire, on leur fait dire très exactement ce qu'on a envie d'entendre de leur part.
C'est une très vieille stratégie, dans l'histoire de la didactique des langues, que de faire appel ainsi aux sciences, quelles qu'elles soient, pour valider a posteriori des idées qui en réalité proviennent d'une adaptation empirique des enseignants et didacticiens aux besoins, demandes et attentes sociales.
Le jour où les neurosciences prendront les uns et les autres à contre-pied, c'est seulement à ce moment-là qu'il sera intéressant d'écouter ce qu'elles ont à vraiment nous dire.
Le titre que je donnerais personnellement à ce chapitre serait donc : "Les neurosciences au secours des méthodes d'apprentissage"...
Christian Puren
Postscriptum en date du 21 novembre 2018
Depuis la publication du texte ci-dessus, les neurosciences - ou du moins les implications qu'en font certains en France - ont pris à contre-pied les conclusions empiriques très largement partagées par les spécialistes de l'apprentissage de la lecture, en donnant la priorité exclusive au décodage dans les débuts de cet apprentissage, et, pour ce décodage, à une approche strictement analytique. Mais il s'agit là en réalité d'une instrumentalisation des neurosciences au service d'un projet pédagogique "réactionnaire" dans le sens étymologique du terme - c'est une réaction contre les excès et les errements présumés de l'approche globale intégrale - ... mais aussi dans son sens politique. Voir aussi à ce propos mon billet de blog en date du 4 janvier 2014, intitulé "À propos de la sempiternelle polémique entre la "méthode syllabique" et la "méthode globale" en enseignement-apprentissage de la lecture à l'école primaire".