Le site Thot Cursus (www.cursus.edu) a mis en ligne une interview de Gilberte Furstenberg, qui a enseigné le français langue étrangère au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Cambridge, USA, pendant une trentaine d'années. Elle est la co-auteure de Cultura (cultura.mit.edu/), site d'échanges interculturels en ligne entre étudiants américains et français. On pourra lire l'intégralité de cette interview à cette adresse. Les étudiants y sont invités à échanger entre eux sur des documents qui les amènent à approfondir leur compréhension de la culture de l'autre.
Ce qui me semble particulièrement intéressant dans le dispositif, c'est le choix de la langue de travail, qui est la langue maternelle des étudiants, et non la langue étrangère qu'ils apprennent. Extrait :
Thot Cursus
Puisque nous sommes dans une activité linguistique, j'imagine que lors de ces échanges, chaque groupe d'étudiants utilise la langue cible, celle qu'il apprend ?
Gilberte Furstenberg
Pas du tout ! Chacun s'exprime dans la langue source : anglais pour les étudiants aux Etats-Unis, français pour les étudiants en France. Ceci, pour plusieurs raisons. D'abord, pour créer une égalité linguistique entre les étudiants. Par exemple, les étudiants français participant au projet ont tous 7 ou 8 ans d'apprentissage de l'anglais derrière eux. Alors que nos étudiants du MIT n'ont que 3 semestres d'étude du français... Ensuite, parce que l'objectif n'est pas dans cette phase d'échanges d'améliorer ses compétences écrites dans la langue cible, mais bien de décrire, de comparer et de s'interroger sur les deux cultures. Il ne pourrait y avoir d'échanges approfondis si les étudiants étaient limités par leur compétence linguistique.
Thot Cursus
Mais alors, où est l'apprentissage de la langue, dans Cultura ?
Gilberte Furstenberg
En classe ! L'activité en ligne est une partie du dispositif hybride global. Les échanges et matériels présents sur le site constituent le matériau de base de nombreux échanges en présence, qui se font cette fois dans la langue cible.
Il s'agit là d'une nouvelle conception de la relation entre L1 et L2 dans un dispositif d'apprentissage de langue étrangère, un peu semblable à la fonction n° 11 que je pointais comme pouvant
être impliquée dans la mise en œuvre de la perspective actionnelle (cf. "Fonctions de la traduction en didactique des langues-cultures"), dans la mesure
où les documents de travail ne sont plus donnés d'emblée aux étudiants, mais sont produits ou du moins sélectionnés par eux-mêmes.
Ce type de dispositif est tout à fait étranger à la tradition communicative, où soit les échanges se font en langue cible, soit chacun utilise la langue cible de l'autre (comme dans
l'apprentissage en tandem). Elle peut donner des idées aux enseignants avec des élèves - et ils sont toujours nombreux - qui ont des choses intéressantes à dire, mais ne peuvent pas (encore) le
dire en langue étrangère. Cette frustration, et ce sentiment d'infantilisation qu'ils ressentent en étant contraints de s'exprimer bien en-deça de leurs idées, sont sans doute chez eux des
facteurs de démotivation, qu'un tel type de dispositif pourrait aider à combattre.
C'est pourquoi le titre que j'ai choisi pour ce post ("S'exprimer dans sa langue pour apprendre la langue de l'autre") me paraît rendre bien mieux justice à l'originalité et à l'intérêt de ce projet que celui proposé par Thot Cursus ("Cultura : les Tice au service de l'interculturel").