La classe de langue étrangère, un milieu multilingue où l'on s'entraîne à vivre dans une société multilingue

Je viens de rajouter aux six remarques antérieures sur le tableau des "Fonctions de la traduction L1 <-> L2 en didactique des langues-cultures" (document 033 en Bibliothèque de travail) une septième remarque.

 

Pour cette remarque, je reproduis un tableau statistique concernant la "Fréquence d'utilisation de la langue étrangère en classe par les enseignants et les élèves, 2010-2011". Ce tableau statistique est extrait d'une publication conjointe Eurydice/Eurostat réalisée en coopération avec la Commission européenne (dernière consultation 9 novembre 2012) intitulée "Chiffres clés de l'enseignement des langues à l'école en Europe 2012". Ce tableau est intéressant parce qu'il montre, comme l'écrivent les auteurs de cette publication, que "tant les enseignants que les élèves utilisent peu la langue-cible en classe".


Je reproduis à la suite l'argumentation qu'ils utilisent pour critiquer ce recours à la L1 dans les classes de L2 en Europe :

 

Les programmes d'enseignement d'une douzaine de pays ou régions recommandent aux enseignants de mettre davantage l'accent sur les compétences orales (à savoir la compréhension et l'expression orales) quand ils commencent à enseigner les langues étrangères aux élèves plus jeunes. À la fin de l'enseignement obligatoire, cependant, les quatre compétences communicatives (écouter, parler, lire et écrire) ont le même statut dans pratiquement tous les programmes. Malgré cela, dans pratiquement tous les pays ou régions ayant participé à l'ESLC [European Survey on Language Competences], selon les élèves, les enseignants n'utilisent pas " habituellement " la langue cible en classe, bien qu'ils l'utilisent de temps en temps. La recherche scientifique suggère que plus le bain linguistique est important, meilleure est la maîtrise de la langue apprise. Malgré cela, dans pratiquement tous les pays ou régions ayant participé à l'ESLC, selon les élèves, les enseignants n'utilisent pas "habituellement" la langue cible en classe, bien qu'ils l'utilisent de temps en temps.


Mon commentaire critique, que l'on retrouvera dans la remarque n° 7 de ce document 033 avec la reproduction du tableau statistique, est le suivant:


On aimerait savoir sur quelles publications s'appuie le rédacteur pour affirmer que "la recherche scientifique suggère que plus le bain linguistique est important, meilleure est la maîtrise de la langue apprise." Parce qu'il s'agit d'une affirmation hautement discutable, telle qu'elle est ainsi présentée, comme une loi générale. Ainsi au moins en milieu scolaire, dans les premiers temps de l'apprentissage et pour certains élèves, l'absence de toute consigne et de toute explication en L1 (qu'elle soit grammaticale, lexicale, culturelle,…) constitue certainement un gêne pour l'apprentissage. L'enseignement scolaire, avec son nombre d'heures très limité et ses élèves partageant tous la même L1, n'est pas en mesure de recréer un environnement de L2 suffisamment important et crédible pour fonctionner vraiment comme un bain linguistique ; il n'a d'ailleurs aucun intérêt à le faire, parce qu'il peut au contraire utiliser ses propres avantages, parmi lesquels se trouve la disponibilité d'une langue de communication maîtrisée par tous, la L1.


En outre, depuis la publication du CECRL, un autre argument vient s'ajouter en faveur d'une place certes limitée mais reconnue à la L1, et c'est que la classe de L2 est un milieu naturellement multilingue (y cohabitent au moins la L1 et la L2) en homologie avec la société multilingue à laquelle il s'agit désormais de préparer les élèves.


Il est assez invraisemblable qu'une publication à laquelle a participé la Commission européenne reprenne une idée aussi simpliste du point de vue didactique, et complètement inadaptée aux nouveaux enjeux de l'enseignement-apprentissage des langues en Europe.